Contrainte de répondre aux clients durant sa pause : la salariée est-elle vraiment en pause ?

Actualité
Paie Temps travail effectif

C’est un arrêt de la Cour de cassation assez éclairant que notre actualité aborde aujourd’hui. Il s’agit du cas d’une salariée qui, durant sa pause déjeuner, était contrainte de répondre aux clients : pause respectée ou non ?

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Temps de pause : rappels

Avant d’aborder l’affaire traitée par la Cour de cassation, faisons quelques rappels sur les temps de pause dont bénéficient légalement les salariés.

Les informations ci-après proposées sont extraites d’une de nos fiches pratiques consacrée à cette thématique : 

Le temps de pause : dispositions légales 

Le temps de pause minimum se retrouve au sein des articles L 3121-16 (ordre public) et L 3121-17 (champ de la négociation collective).

Ce temps de pause est fixé :

  • À 20 minutes consécutives;
  • Dès que le temps de travail quotidien atteint 6 heures.

La fixation d’un temps de pause supérieur peut être réalisée par :

  • Une convention ;
  • Un accord d'entreprise ou d'établissement ;
  • Ou, à défaut, une convention ou un accord de branche.

Article L3121-16 

Modifié par LOI n°2016-1088 du 8 août 2016 - art. 8 (V)

Dès que le temps de travail quotidien atteint six heures, le salarié bénéficie d'un temps de pause d'une durée minimale de vingt minutes consécutives.

Article L3121-17 

Modifié par LOI n°2016-1088 du 8 août 2016 - art. 8 (V)

Une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche peut fixer un temps de pause supérieur.

Il en ressort qu’il n’existe pas légalement de « temps de repas », ce dernier se confondant avec le temps de pause (sauf dispositions conventionnelles plus favorables ou usages dans l’entreprise).

Présentation de l’affaire

Une salariée est engagée en qualité d'esthéticienne, le 5 septembre 2017.


La salariée a saisi le 31 septembre 2018 la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail et le paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture dudit contrat.

Elle considère notamment que son employeur n’avait pas respecté ses obligations légales en matière de pause, la salariée étant contrainte de répondre aux appels des clients en les accueillant à la fois au téléphone mais également « physiquement » parfois, y compris durant ses temps de pause déjeuner.

Arrêt de la cour d’appel

La cour d'appel de Paris, par arrêt du 31 août 2022, déboute la salariée de sa demande, mais cette dernière décide de se pourvoir en cassation.

Arrêt de la Cour de cassation

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d'appel de Paris, renvoyant les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

La Cour de cassation commence par rappeler les principes légaux encadrant le temps de pause et l’éventuelle requalification en temps de travail effectif, se basant sur le fait que : 

  • La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles, en application des articles L 3121-1 et L 3121-2 du code du travail ;
  • Le temps nécessaire à la restauration ainsi que les temps consacrés aux pauses sont considérés comme du temps de travail effectif lorsque les critères définis à l'article L. 3121-1 sont réunis ;
  • Il résulte de ces dispositions que, pour que des temps de pauses puissent être considérés comme du temps de travail effectif, il faut que le salarié soit à la disposition de l'employeur et qu'il doive se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles. 

Dans la présente affaire, la cour d’appel ne pouvait débouter la salariée de sa demande :

  • Sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la salariée était, durant ses temps de pause, à la disposition de l'employeur et devait se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. 

Extrait de l’arrêt :

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 3121-1 et L. 3121-2 du code du travail :

  1. Aux termes du premier de ces textes, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.
  1. Aux termes du second, le temps nécessaire à la restauration ainsi que les temps consacrés aux pauses sont considérés comme du temps de travail effectif lorsque les critères définis à l'article L. 3121-1 sont réunis.
  1. Il résulte de ces dispositions que, pour que des temps de pauses puissent être considérés comme du temps de travail effectif, il faut que le salarié soit à la disposition de l'employeur et qu'il doive se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.
  1. Pour débouter la salariée de sa demande au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, l'arrêt, par motifs adoptés, constate que la salariée soutient que deux courriels de son employeur démontrent qu'elle a effectué des heures supplémentaires tous les jours où elle a travaillé, pendant sa pause déjeuner. Il relève en outre que l'employeur expose, pour sa part, que, pour des raisons commerciales, la pause déjeuner de l'intéressée pouvait être de 12h30 à 13h00, au lieu de 13h00 à 13h30. Il retient que ce dernier produit un constat d'huissier du 23 octobre 2018 dont il ressort que, durant sept mois de travail, la salariée n'a à aucun moment commencé avant 10h00 ou terminé après 19h30. Il en conclut que l'intéressée ne fournit pas d'éléments probants démontrant l'existence d'heures supplémentaires.
  1. Par motifs propres, l'arrêt ajoute que la salariée ne produit aucun décompte détaillé des heures dont elle sollicite le paiement.
  1. En se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la salariée était, durant ses temps de pause, à la disposition de l'employeur et devait se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Portée et conséquences de la cassation

  1. La cassation prononcée est sans incidence sur les chefs de dispositif déboutant la salariée de sa demande en résiliation du contrat de travail et de ses demandes indemnitaires subséquentes, sans lien d'indivisibilité ni de dépendance nécessaire avec elle.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [D] de sa demande au titre des heures supplémentaires, dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile et condamne Mme [D] aux dépens, l'arrêt rendu le 31 août 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Rappel de jurisprudences

La présente affaire est à rapprocher, selon nous, d’un autre arrêt de la Cour de cassation, qui avait reconnu que les temps qualifiés de « temps de pause » devaient être requalifiés en temps de travail effectif et donc être rémunérés comme tels dans certaines situations...

Cette affaire concernait un salarié d’une station-service qui :

  • Travaillait seul pendant la nuit et avait saisi la justice prud’homale afin de faire reconnaître son temps de pause de 30 minutes (pause prévue par la convention collective du commerce et de la réparation automobile) comme un temps de travail effectif ;
  • Son employeur prétendait au contraire que le salarié pouvait prendre son temps de pause « entre deux clients » compte tenu du fait que son poste de travail contenait d’importantes plages d’inaction.

La Cour de cassation avait donné raison au salarié considérant que les temps de pauses accordées au salarié devaient être requalifiés en temps de travail effectif.

Cour de cassation du 13/01/2010 n° 08-42.716

Références

Cour de cassation - Chambre sociale N° de pourvoi : 22-22.308 ECLI:FR:CCASS:2024:SO00157 Non publié au bulletin

Solution : Cassation partielle Audience publique du mercredi 07 février 2024 Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, du 31 août 2022

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