La preuve déloyale est recevable en justice à condition d'être indispensable

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Droit du travail Preuve

Après le revirement jurisprudentiel opéré en décembre sur la recevabilité en justice d'une preuve déloyale, la Cour de Cassation fait application du nouveau principe.

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Une preuve déloyale est une preuve obtenue par le biais d'un stratagème ou d'un piège, à l'insue de la partie adverse : filature de détective, traceur GPS, mouchard informatique, enregistrement audio ou vidéo sans consentement, etc...

Elle est en principe irrecevable en application du principe de loyauté dans l'administration de la preuve.

La recevabilité de la preuve se heurte au respect d'autres droits tels que le respect de la vie privée, le secret professionnel ou le secret médical.

En mars 2023, la Cour de Cassation avait déjà considéré, dans le cadre d’un contentieux relatif à une inégalité de traitement, qu'un salarié ne pouvait produire des bulletins de paie d'autres salariés que si "la communication de ces éléments portant atteinte à la vie personnelle d'autres salariés était indispensable à l'exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l'intérêt légitime de la salariée à l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail".

En décembre 2023, la Cour de Cassation a, par plusieurs arrêts opérant un revirement de jurisprudence, admis la recevabilité en justice d'une preuve obtenue de manière déloyale, sous certaines conditions.

Dans un premier arrêt du 20 décembre 2023, elle a ainsi jugé que des documents couverts par le secret médical pouvaient constituer des preuves recevables en justice, à condition que leur production soit indispensable à l'exercice des droits de la défense et proportionnée au but poursuivi.

Dans cette affaire, la salariée, qui contestait son positionnement dans la classification conventionnelle, avait fourni des documents mentionnant le nom de patients, leur pathologie, le nom de leur médecin traitant et la date de leur intervention chirurgicale. Licenciée pour non respect de son obligation de discrétion et de confidentialité et donc pour faute grave, elle considérait que la production de ces documents non anonymisés était la seule preuve permettant de démontrer la réalité de ses tâches et missions. La Cour de Cassation ne l'a pas suivi et a estimé, pour rejeter la recevabilité de la preuve, que la production en justice de ces documents n'était pas indispensable ni proportionnée au but poursuivi.

Dans deux arrêts du 22 décembre 2023, l'assemblée plénière de la Cour de Cassation opère un revirement de jurisprudence et considère que, dans un litige civil, une partie peut utiliser, sous certaines conditions strictes, une preuve obtenue de manière déloyale pour faire valoir ses droits.

Dans la première affaire, il s'agissait d'une preuve apportée par l'employeur dans le cadre de la contestation par un salarié d’un licenciement pour faute grave. Pour apporter la preuve de cette faute, l’employeur avait soumis au juge l’enregistrement sonore, à l'insue du salarié, d'un entretien au cours duquel le salarié avait tenu des propos ayant conduit à sa mise à pied.

Dans la seconde affaire, un employeur avait basé le licenciement pour faute grave d'un salarié absent sur la production d'une conversation privée par messagerie Facebook transmise à l'employeur par l'intérimaire chargé de le remplacer.

La Cour de Cassation rappelle tout d'abord le principe de loyauté dans l'administration de la preuve, consacré en 2011, selon lequel lorsqu’une preuve est obtenue de manière déloyale, c’est-à-dire lorsqu’elle est recueillie à l’insu d’une personne, grâce à une manœuvre ou à un stratagème, un juge ne peut pas tenir compte de ce type de preuve.

Elle opère ensuite un revirement de jurisprudence en admettant que des moyens de preuve déloyaux peuvent être présentés au juge dès lors qu’ils sont indispensables à l’exercice des droits du justiciable. Elle ajoute que, toutefois, la prise en compte de ces preuves ne doit pas porter une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse (vie privée, égalité des armes etc.).

S'agissant de la preuve constituée par la conversation privée issue de Facebook, la Cour confirme sa jurisprudence selon laquelle il n’est possible de licencier disciplinairement un salarié pour un motif en lien avec sa vie personnelle que si celui-ci constitue un manquement à ses obligations professionnelles, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. Les juges n’avaient donc pas à s’interroger sur la valeur de la preuve provenant de la messagerie Facebook...

Enfin, par un arrêt du 17 janvier 2024, la Cour de Cassation fait, pour la première fois, application de son revirement jurisprudentiel en jugeant qu'un enregistrement clandestin d'un entretien avec des membres du CHSCT pour prouver un harcèlement moral et produit par le salarié constite une preuve déloyale irrecevable car disproportionnée au but poursuivi dans le cadre du procès.

Cass. soc., 8 mars 2023, n° 21-12.492.

Cass. soc., 20 décembre 2023, n° 21-20.904.

Cass. ass. plén., 22 décembre 2023, n° 20-20.648 et 21-11.330.

Cass. soc., 17 janvier 2024, n° 22-17.474.

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