Des faits commis pendant la période d’essai peuvent motiver un licenciement disciplinaire

Jurisprudence
Période d’essai

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Cet article a été publié il y a 9 ans, il est donc possible qu'il ne soit plus à jour.

Un salarié est engagé le 4 mai 2009 en qualité de directeur des ventes à l'international par une société.

Son contrat de travail prévoit une période d'essai de 3 mois qui s'est achevée le 4 août 2009.

Finalement, le salarié est licencié pour faute grave par lettre du 13 octobre 2009. 

A l’appui de son licenciement, son employeur lui reproche pas moins de 12 griefs dont les suivants :

  1. défaut de reporting ;
  2. absence de traces de son travail si bien que les clients ne pouvaient être renseignés ;
  3. de très mauvais contacts avec la clientèle au point que les clients ne souhaitaient plus travailler avec lui ;
  4. un travail accompli sur des points non prioritaires dont il n'est même pas démontré qu'ils auraient été réalisés effectivement ;
  5. les critiques persistantes tant sur l'organisation de la société qu'à l'égard de la direction, allant jusqu'à l'insolence ;
  6. des contresens graves dans le maniement de l'anglais dont la maîtrise était pourtant une des conditions du recrutement, alors que lui-même avait affirmé qu'il possédait l'anglais de manière courante dans son curriculum vitae ;
  7. une mise devant le fait accompli en ce qui concerne l'organisation de son emploi du temps avec absence le 4 septembre malgré une instruction contraire ;
  8. une utilisation abusive de sa carte corporatiste pour lequel la société s'était portée garante avec des encours non justifiés. 

Pour le salarié, le licenciement pour faute grave n’est pas fondé, il saisit la juridiction prud’homale pour faire reconnaitre son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

A l’appui de sa demande, le fait que les faits qui lui sont reprochés se sont majoritairement produits pendant la période d’essai et que celle-ci n’avait pas été renouvelée (l’article 2 de son contrat de travail le prévoyait pourtant) signifiant de manière très claire, que les 3 premiers mois s’étaient avérés très satisfaisants.

Extrait de l’arrêt :

La lettre de licenciement du 13 octobre 2009 est trop longue pour être reproduite intégralement ici. Elle articule 12 griefs dans les huit principaux seront résumés ainsi : - défaut de reporting - absence de traces de son travail si bien que les clients ne pouvaient être renseignés - de très mauvais contacts avec ta clientèle au point que les clients ne souhaitaient plus travailler avec lui - un travail accompli sur des points non prioritaires dont il n'est même pas démontré qu'ils auraient été réalisés effectivement- les critiques persistantes tant sur l'organisation de la société qu'à l'égard de la direction, allant jusqu'à l'insolence -des contresens graves dans le maniement de l'anglais dont la maîtrise était pourtant une des conditions du recrutement, alors que lui-même avait affirmé qu'il possédait l'anglais de manière courante dans son curriculum vitae - une mise devant le fait accompli en ce qui concerne l'organisation de son emploi du temps avec absence le 4 septembre malgré une instruction contraire - une utilisation abusive de sa carte corporatiste pour lequel la société s'était portée garante avec des encours non justifiés. Les deux parties ont signé le contrat de travail du 4 mai 2009 où il était stipulé à l'article deux que l'engagement ne deviendrait définitif qu'au terme d'une période d'essai de trois mois de travail effectif à compter du 4 mai 2009, et que cette période d'essai pourrait être prolongée une fois, si nécessaire, après accord écrit des parties. En l'espèce, la période d'essai de trois mois s'est achevée le 4 août 2009 et elle n'a pas été prolongée, ce qui signifie, de manière très claire, que les premiers trois mos de l'exécution des prestations de Monsieur X... s'avéraient très satisfaisants, sans nécessité de prolonger une seconde période d'essai pourtant contractuellement prévue

Dans un premier temps, la cour d’appel donne raison au salarié, retenant au passage son argument.

Le renouvellement de la période d’essai empêchait l’employeur de reprocher des faits qui s’étaient produits durant cette période, pour motiver par la suite le licenciement du salarié pour faute grave.

Extrait de l’arrêt :

Attendu que pour dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que le contrat de travail s'étant poursuivi après l'expiration de la période d'essai, cela signifie que l'exécution des prestations durant cette période s'avérait très satisfaisante, de sorte que l'employeur ne peut reprocher au salarié que des faits compris entre le 5 août et le 13 octobre 2009 ;

La Cour de cassation balaie l’argument de la cour d’appel, casse et annule son arrêt.

Elle précise que l’employeur est totalement en droit d’utiliser des faits qui se sont produits durant la période d’essai pour motiver par la suite son licenciement, y compris pour une faute grave.

Extrait de l’arrêt :

Qu'en statuant ainsi, alors que l'employeur peut, pour fonder un licenciement disciplinaire, invoquer même après l'expiration de la période d'essai des fautes que le salarié aurait commises au cours de cette période, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; (…)

PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamne la société N…à payer à M. X... : -10 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; - 2 000 euros d'indemnité de préavis et 200 euros de congés payés afférents, l'arrêt rendu le 17 avril 2013, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bourges ;

Cour de cassation du , pourvoi n°13-19815

Profitons de la présente affaire pour rappeler quelques notions concernant la rupture de la période d’essai.

Rupture de la période d’essai 

La rupture de la période d’essai peut intervenir sur l’initiative du salarié ou de l’employeur.

Cette rupture peut être prononcée sans avoir à alléguer de motif que ce soit l’employeur ou le salarié qui procède à cette rupture.

Cour de cassation du 25/03/1985 n° 83-44.938

Lorsque l’employeur procède à la rupture de la période d’essai, celle-ci doit être en relation avec les performances du salarié, et en aucun cas influencée par un évènement extérieur (baisse d’activité, suppression du poste, etc.).

La rupture risquerait alors d’être considérée comme abusive, et entrainerait le versement de dommages et intérêts. 

A titre de rappel, un récent arrêt de la Cour de cassation concernant la rupture de la période d’essai pour ...manque de neige !

Cour de cassation du 15/12/2010 pourvoi K 09-42.773 n° arrêt 2536 F-D

La rupture de la période d’essai n’est soumise à aucun formalisme légal, mais certaines conventions collectives peuvent prévoir néanmoins l’information par lettre recommandée, et parfois l’obligation de motiver la rupture de la période d’essai. 

La rupture de la période d’essai n’entraîne le versement d’aucune indemnité (à part l’éventuelle indemnité compensatrice de congés payés si le temps de présence est suffisant).

Par contre, l’employeur doit remettre au salarié (quelle que soit la partie qui est à l’initiative de la rupture) tous les documents prévus dans le cas d’une rupture du contrat de travail à savoir :

  • Reçu pour solde de tout compte ;
  • Attestation Pôle emploi (en 2 exemplaires dont 1 pour le salarié) ;
  • Certificat de travail (avec mention droit au DIF éventuellement) ;
  • Dernier bulletin de salaire avec son paiement. 

Rupture de la période d’essai : formalisme obligatoire dans certains cas 

Il existe des cas particuliers pour lesquels la rupture de la période d’essai doit obligatoirement obéir à un formalisme.

Rupture pour faute : 

Dans ce cas, la rupture doit être précédée d’un entretien préalable.

Salarié protégé : 

L’employeur doit demander l’autorisation à l’inspection du travail avant de rompre la période d’essai d’un salarié protégé.

Rupture de la période d’essai : respect du délai de prévenance

La loi LMMT instaure un délai de prévenance à respecter par chaque partie concernée. 

Avant la loi, la période d’essai pouvait être rompue sans délai ! 

Depuis le 27 juin 2008, salariés et employeurs doivent respecter un certain délai, baptisé « délai de prévenance » 

Les délais de prévenance dépendent du temps de présence du salarié dans l’entreprise 

Présence dans l’entreprise

Délai prévenance

Rupture de l’employeur

Rupture du salarié

7 jours maxi

24 heures

24 heures

8jours à 1 mois

48 heures

48 heures

Après 1 mois

2 semaines

48 heures

Après 3 mois

1 mois

48 heures

Article L1221-25

Créé par LOI n°2008-596 du 25 juin 2008 - art. 2 (V)

Lorsqu'il est mis fin, par l'employeur, au contrat en cours ou au terme de la période d'essai définie aux articles L. 1221-19 à L. 1221-24 ou à l'article L. 1242-10 pour les contrats stipulant une période d'essai d'au moins une semaine, le salarié est prévenu dans un délai qui ne peut être inférieur à :

1° Vingt-quatre heures en deçà de huit jours de présence ;

2° Quarante-huit heures entre huit jours et un mois de présence ;

3° Deux semaines après un mois de présence ;

4° Un mois après trois mois de présence.

La période d'essai, renouvellement inclus, ne peut être prolongée du fait de la durée du délai de prévenance

Concernant ce délai de prévenance, le ministère du Travail apporte des précisions: 

  • Lorsque des délais de prévenance conventionnelle existent, le ministère indique que le délai de prévenance légal s’applique même dans le cas où celui qui était prévu conventionnellement était plus court ou plus long ;
  • Le délai de prévenance ne doit pas avoir pour effet de prolonger la période d’essai au-delà des maxima prévus pour l’employeur ;
  • Lorsque c’est le salarié qui prend l’initiative de la rupture, le délai de prévenance pourra avoir pour effet de dépasser la durée maximale de la période d’essai. 

Le délai de prévenance se décompte à compter de la date d’envoi de la lettre recommandée (réponse ministérielle 15/04/2008) ou bien à la date de remise de la lettre si elle donnée en main propre au salarié. 

Il est important de signaler que ce délai de prévenance s’applique aux contrats CDI et CDD comprenant une période d’essai d’au moins une semaine.

Rupture et non respect du délai de prévenance

Rappels de jurisprudences  

  • Arrêt cour d’appel 

Suite à la rupture de la période d’essai et au non-respect du délai de prévenance par l’employeur, le salaire effectue une saisine du Conseil de prud’hommes. 

Les juges de la Cour d’appel déboutent le salarié de sa demande et indiquent :

  • Que le non respect du délai de prévenance ne permet pas de requalifier la rupture de la période d’essai en une rupture d’un contrat CDI sans cause réelle et sérieuse ;
  • Que le non respect du délai de prévenance pouvait permettre au salarié d’obtenir des dommages et intérêts compensant le salaire brut correspondant au délai de prévenance qui aurait dû être respecté (demande qui n’a pas été formulée par le salarié en l’occurrence)

Cour d’Appel de Montpellier du 11/05/2011 (arrêt 11/5/2011 RG 09/00596).

Retrouver cet arrêt en détails, en cliquant ici.

  • Arrêt Cour de cassation 

Une salariée saisit la juridiction prud’homale, estimant que son contrat de travail a été rompu de façon abusive, et que le non respect du délai de prévenance devait s’analyser en un licenciement. 

La Cour de cassation, tout comme l’avait fait auparavant la cour d’appel déboute la salariée de sa demande.

Le non respect du délai de prévenance n’ayant pas pour effet de « transformer » la rupture de la période d’essai en un licenciement. 

Extrait de l’arrêt :

Mais attendu que la cour d'appel ayant constaté que l'employeur avait mis fin à la période d'essai avant son terme, en a exactement déduit que la rupture ne s'analysait pas en un licenciement, alors même que cet employeur n'avait pas respecté le délai de prévenance ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi

Cour de cassation du 23/01/2013 pourvoi no T 11-23428

Non respect du délai de prévenance : les nouvelles dispositions

Désormais, selon l’ordonnance du 26/06/2014 et l’article L 1221-25 du code du travail modifié, en cas de non-respect du délai de prévenance par l’employeur, le salarié peut prétendre (sauf en cas de faute grave) à une indemnité compensatrice.

Cette indemnité est égale au montant des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du délai de prévenance, indemnité compensatrice de congés payés comprise.

Ordonnance n° 2014-699 du 26 juin 2014 portant simplification et adaptation du droit du travail, JO du 27 juin 2014

Extrait de l’ordonnance du 26/06/2014

Article 19
L'article L. 1221-25 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le délai de prévenance n'a pas été respecté, son inexécution ouvre droit pour le salarié, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice. Cette indemnité est égale au montant des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du délai de prévenance, indemnité compensatrice de congés payés comprise. » 

Article L1221-25

Modifié par ORDONNANCE n°2014-699 du 26 juin 2014 - art. 19

Lorsqu'il est mis fin, par l'employeur, au contrat en cours ou au terme de la période d'essai définie aux articles L. 1221-19 à L. 1221-24 ou à l'article L. 1242-10 pour les contrats stipulant une période d'essai d'au moins une semaine, le salarié est prévenu dans un délai qui ne peut être inférieur à :

1° Vingt-quatre heures en deçà de huit jours de présence ;

2° Quarante-huit heures entre huit jours et un mois de présence ;

3° Deux semaines après un mois de présence ;

4° Un mois après trois mois de présence.

La période d'essai, renouvellement inclus, ne peut être prolongée du fait de la durée du délai de prévenance.

Lorsque le délai de prévenance n'a pas été respecté, son inexécution ouvre droit pour le salarié, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice. Cette indemnité est égale au montant des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du délai de prévenance, indemnité compensatrice de congés payés comprise.

Rupture de la période d’essai : petit résumé 

2 cas peuvent être envisagés :  

Cas

Conséquences

Non-respect du délai de prévenance par l’employeur

Le salarié ouvre droit à une indemnité compensatrice égale au montant des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du délai de prévenance, indemnité compensatrice de congés payés comprise.

Rupture alors que la période d’essai est terminée

La rupture doit s’analyser en un licenciement.

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