Contrôle Urssaf : La production des pièces en justice

Jurisprudence
Paie Contrôle URSSAF

La cour de cassation s'est prononcé sur la question de la production de pièces justificatives dans le cadre d'un contrôle Urssaf. Les pièces non transmises lors de la procédure de contrôle sont elles recevables par les juges ?

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Contexte de l'affaire

À la suite d’un contrôle, une URSSAF a réintégré dans l’assiette des cotisations les sommes versées par une association au titre d’un régime de retraite supplémentaire, estimant qu’il s’agissait d’une participation patronale. L’association contestait le redressement, soutenant qu’il ne s’agissait que de provisions comptables, et a produit tardivement, devant la cour d’appel, une attestation de son organisme assureur démontrant qu’aucune contribution n’avait été perçue. La cour d’appel a refusé d’examiner ces pièces, estimant qu’elles auraient dû être présentées au moment du contrôle, l’association n’établissant pas d’impossibilité matérielle de les fournir.

Réponse de la Cour

5. Selon l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial.

6. Le droit au procès équitable n'est pas absolu et se prête à des limitations qui ne sauraient cependant restreindre l'accès ouvert à un justiciable d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même.

7. Selon l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige, les employeurs sont tenus de présenter aux agents chargés du contrôle tout document et de permettre l'accès à tous supports d'information qui leur sont demandés par ces agents comme nécessaires à l'exercice du contrôle. L'employeur a le droit pendant le contrôle de se faire assister du conseil de son choix. Il est fait mention de ce droit dans l'avis prévu à l'alinéa précédent. A l'issue du contrôle, les agents chargés du contrôle mentionnés à l'article L. 243-7 communiquent au représentant légal de la société ou au travailleur indépendant une lettre d'observations datée et signée par eux mentionnant l'objet du contrôle réalisé, le ou les documents consultés, la période vérifiée, le cas échéant, la date de la fin du contrôle et les observations faites au cours de celui-ci. Les observations sont motivées par chef de redressement et comprennent les considérations de droit et de fait qui constituent leur fondement et le cas échéant, l'indication du montant des assiettes correspondant, ainsi que pour les cotisations et contributions sociales l'indication du mode de calcul et du montant des redressements et des éventuelles majorations et pénalités définies aux articles L. 243-7-2, L. 243-7-6 et L. 243-7-7 qui sont envisagés. La lettre d'observations indique également au cotisant qu'il dispose d'un délai de trente jours pour répondre par lettre recommandée avec accusé de réception, à ces observations et qu'il a, pour ce faire, la faculté de se faire assister d'un conseil de son choix.

8. La contestation des décisions de recouvrement, prises à la suite de ce contrôle, porte sur des droits et obligations à caractère civil au sens de l'article 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ce dont il résulte qu'en cas de contestation par le cotisant, les juridictions judiciaires exercent leur contrôle sur la régularité de la procédure, la matérialité des faits et l'application des lois servant de fondement à la décision litigieuse (Soc., 23 mai 2002, pourvoi n° 00-12.309 ; 2e Civ., 24 mai 2005, pourvoi n° 03-30.634).

9. La Cour de cassation juge qu'à l'occasion de cette contestation, qui peut porter sur la régularité ou le bien fondé du redressement, le cotisant peut soulever des moyens de contestation autres que ceux soulevés devant la commission de recours amiable (2e Civ., 12 mai 2022, pourvoi n° 20-18.077, publié).

10. Le pourvoi pose la question de savoir si le cotisant peut également produire, à l'appui de son recours, des pièces qu'il n'a pas fournies à l'organisme de recouvrement lors du contrôle ou de la phase contradictoire.

11. Le droit au procès équitable, dont le droit à un accès à un tribunal est une composante, implique que chaque partie à l'instance soit en mesure d'apporter la preuve des éléments nécessaires au succès de ses prétentions.

12. Ce droit à la preuve doit être concilié avec les modalités propres à la déclaration, au calcul et au paiement des cotisations et contributions sociales qui reposent sur un système déclaratif, sous la seule responsabilité de l'employeur.

13. Il en résulte que, pour l'application des articles L. 213-1 et L. 243-7 du code de la sécurité sociale, les cotisants doivent conserver les éléments de preuve de nature à démontrer l'exactitude de leurs déclarations afin que les organismes de recouvrement, qui sont chargés de la vérification de l'exhaustivité, de la conformité et de la cohérence des informations déclarées par les cotisants, puissent exercer a posteriori un contrôle de l'application des dispositions du code de la sécurité sociale.

14. Pour vérifier le respect de ces règles d'ordre public, les organismes, qui disposent de prérogatives exorbitantes du droit commun au cours des opérations de contrôle, peuvent exiger des cotisants la production des éléments nécessaires à cette vérification.

15. Il ressort de l'ensemble de ces éléments que, pour assurer l'effectivité du contrôle par le juge de la matérialité des faits, le cotisant doit pouvoir produire devant celui-ci l'ensemble des pièces nécessaires au succès de ses prétentions.

16. Cependant, le cotisant ne peut produire pour la première fois devant le juge une pièce qui lui a été expressément demandée par l'organisme de recouvrement lors des opérations de contrôle ou de la phase contradictoire.

17. En outre, lorsque la charge de la preuve de la conformité à la législation de sécurité sociale des informations déclarées incombe au cotisant, celui-ci doit produire les pièces justificatives au cours du contrôle ou de la phase contradictoire. Tel est notamment le cas de l'application des règles de déduction des frais professionnels (2e Civ., 24 novembre 2016, pourvoi n° 15-20.493), de l'application de la tolérance administrative d'exclusion de l'assiette de cotisations (2e Civ., 7 janvier 2021, pourvoi n° 19-20.035, 19-19.395), en matière de taxation forfaitaire (2e Civ., 14 mars 2019, pourvoi n° 17-28.099), ou d'évaluation forfaitaire des cotisations et contributions dues par une société ayant fait l'objet d'un contrôle de l'inspection du travail en matière de travail dissimulé (2e Civ., 9 novembre 2017, pourvoi n° 16-25.690, Bull. 2017, II, n° 209).

18. Ces limitations du droit à la preuve, qui préservent un contrôle juridictionnel suffisant, sont compatibles avec les exigences de l'article 6, § 1, de la Convention, dès lors que les dispositions législatives et réglementaires précitées régissant la procédure de contrôle garantissent au cotisant une procédure contradictoire au cours de laquelle il dispose de la faculté d'apporter des éléments de preuve tant au stade du contrôle que durant la phase contradictoire et du droit de se faire assister du conseil de son choix et d'émettre des observations sur les chefs de redressement (CEDH, arrêt du 6 novembre 2018, Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal, [GC], 55391/13, §§ 178 et suivants).
19. L'arrêt relève que les inspecteurs du recouvrement ont intégré dans le calcul de l'assiette des cotisations sociales la participation patronale au régime de retraite supplémentaire au titre de la retraite de raccordement après avoir constaté le versement par l'employeur de primes à l'organisme assureur. Il constate que la cotisante a produit une attestation, postérieurement au contrôle, dans le cadre de son recours gracieux, pour justifier de l'absence de versement de primes à ce titre. Il retient que l'absence de concordance entre cette attestation et le contrat collectif de retraite supplémentaire prive de pertinence cet élément de preuve.

20. De ces constatations et énonciations, dont il ressort que la cotisante pouvait produire, à l'appui de son recours, des pièces qu'elle n'avait pas fournies lors du contrôle ou de la phase contradictoire, la cour d'appel a estimé, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve débattus devant elle, que l'attestation litigieuse n'était pas de nature à remettre en cause le bien-fondé du chef de redressement contesté.

21. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Cour de cassation du , pourvoi n°22-17.437

Décision de la Cour de cassation

La Cour de cassation confirme le principe selon lequel le cotisant ne peut pas produire pour la première fois devant le juge une pièce expressément demandée par les inspecteurs du recouvrement durant le contrôle ou la phase contradictoire. En revanche, les pièces qui n’ont pas été expressément sollicitées par l’URSSAF restent recevables devant le juge. Ainsi, ces pièces étaient donc recevables, même si les juges du fond ont estimé qu’elles ne suffisaient pas à remettre en cause le redressement.

Impact en paie

Cet arrêt rappelle l’importance pour les employeurs de répondre aux demandes des inspecteurs URSSAF et de conserver toutes les pièces justificatives relatives aux cotisations sociales.

En cas de contrôle, l’absence de communication d’un document expressément demandé peut priver le cotisant de la possibilité de s’en prévaloir ultérieurement en justice. En pratique, il est donc indispensable de centraliser les justificatifs de paie et contrats collectifs pour sécuriser les contrôles et limiter les risques de redressement.