Contexte de l'affaire
Une salariée est licenciée pour faute grave pour des faits dont l’employeur a eu connaissance près d’un mois et demi plus tôt.
La salariée conteste son licenciement pour faute grave : selon elle, la qualification de faute grave ne peut pas être retenue puisque l’employeur n’a pas engagé la procédure de licenciement dans un délai restreint, ce qui exclut la faute grave.
Les juges du fond déboutent la salariée de sa demande : les faits reprochés sont bien constitutifs d’une faute grave et le délai de deux mois pour engager la procédure est bien respecté.
La salariée forme un pourvoi en cassation.
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel et donne raison à la salariée. Elle rappelle que la faute grave est celle qui rend impossible le maintien dans l’entreprise et précise que la mise en œuvre de la procédure de licenciement doit donc intervenir dans un délai restreint après la connaissance des faits fautifs par l’employeur, sous peine de voir la faute grave écartée.
Les questions soulevées par le cas
- Dans quel délai la procédure de licenciement pour faute doit- elle être mise en oeuvre ?
- La notion de délai restreint
- Pourquoi un délai restreint ?
- Un délai de plus d’un mois est-il excessif ?
- Le licenciement pour faute grave d’un salarié est-il valable dans le cas où l’employeur n’aurait pas engagé la procédure dans un délai restreint ?
Les points clés de la décision de la Cour de cassation
- En cas de licenciement pour faute grave, l’employeur doit mettre en œuvre la procédure de licenciement dans un délai restreint à partir du moment où il a connaissance des faits fautifs, dans la limite du délai de prescription de 2 mois.
- Il n’existe pas de définition légale du délai restreint et sa durée n’est pas précisément définie. Elle est variable et dépend du contexte. Elle doit être analysée au cas par cas selon les circonstances, notamment si une enquête ou des investigations sont nécessaires.
En effet, même si le délai pour lancer la procédure disciplinaire est de deux mois à compter de la découverte de la faute, l'employeur peut en réalité bénéficier d'un délai beaucoup plus long quand il fait valoir qu'il est nécessaire d’effectuer des vérifications.
C'est le cas, par exemple, quand il est question de procéder à une enquête à la suite d'une dénonciation de harcèlement moral. Dans ce cas, l'employeur dispose d'un délai de deux mois pour lancer la procédure de licenciement, non pas à compter de la découverte de la faute grave, mais une fois seulement qu’il a une connaissance exacte de cette dernière, soit lors du dépôt du rapport d'enquête. (Cass.soc déc.2021)
- la faute grave est d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié en poste et implique son départ immédiat
En d’autres termes, le licenciement pour faute grave implique le départ immédiat du salarié, sans préavis et la gravité de la faute justifie une action rapide et un rétrécissement du délai maximum pour agir, à savoir deux mois. En effet, l'employeur ne peut pas continuer à faire travailler le salarié jusqu'à l'expiration du délai de deux mois, par exemple parce qu'il en a besoin et qu’il n’a pas encore trouvé son remplaçant, et ensuite l'exclure brutalement de l'entreprise au motif qu'il est un danger pour cette dernière. Dans ce cas, la faute grave ne peut pas être considérée comme caractérisée.
Au fil des contentieux, la Cour de cassation a pu considérer que la faute grave :
- ne pouvait pas être retenue si l’employeur avait convoqué le salarié plus de 3 semaines après sa connaissance des faits (Cass.soc. 20.03.2024, 23-13.876)
- pouvait être retenue si l’employeur avait immédiatement notifié au salarié sa mise à pied conservatoire (Cass.soc. 8.11.2023, n°22-10.167)
Impact sur l’employeur
Lorsque l’employeur prononce un licenciement pour faute grave, il doit rapidement engager la procédure disciplinaire dès qu’il a connaissance des faits fautifs, et agir dans un délai restreint sans attendre la fin du délai légal de deux mois pour engager une procédure disciplinaire.
De plus, attendre légitime le salarié à contester la gravité de sa faute.
Enfin, lorsque l’employeur tarde à agir, les juges ont tendance à remettre en cause la gravité réelle des faits reprochés. L’employeur peut alors voir la faute grave écartée et le licenciement être requalifié en un licenciement sans cause réelle ni sérieuse.
Références légales et jurisprudentielles
Code du travail
- Article L.1234-1, L.1234-5 et L.1234-9 : la faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, la mise en œuvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits allégués, dès lors qu’aucune vérification n’est nécessaire.
Jurisprudence
- La position de la Cour de cassation, concernant la nécessité d’initier un licenciement pour faute grave dans un délai restreint, est constante. Cet arrêt est pour elle, l’opportunité de le réaffirmer une nouvelle fois.
Conclusion
Si l’employeur envisage un licenciement pour faute grave, il lui est déconseillé d’attendre le terme du délai de prescription de deux mois pour engager la procédure de licenciement et convoquer le salarié à l’entretien préalable. Il doit le faire dans un délai restreint, le plus rapidement possible après avoir eu connaissance des faits fautifs. Même si une enquête interne doit être menée, il est souhaitable de la réaliser dans ce laps de temps.