Quand trop de remarques blessantes nuisent à la poursuite du contrat de travail

Jurisprudence
Prise acte rupture contrat travail

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Cet article a été publié il y a 9 ans, il est donc possible qu'il ne soit plus à jour.

Un salarié est engagé le 1er juin 2006 en qualité de conseiller en déménagement.

Il démissionne le 30 août 2009 avec effet au 30 septembre suivant en faisant valoir qu'il s’estime victime de harcèlement moral.

A l’appui de sa demande, le salarié produit plusieurs attestations afin de prouver qu’il était victime de propos blessants et humiliants proférés de manière répétée émanant d'un supérieur hiérarchique.

Selon le salarié, il n’avait d’autres choix que celui de démissionner avant de commettre «l'irréparable ».

Extrait de l’arrêt :

Personnellement, j'ai démissionné sans autre travail pour éviter de faire l'irréparable... »,

  

La cour d’appel puis la Cour de cassation donnent raison au salarié, appréciant la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui étaient fournis.

Ainsi, selon les juges les attestations produites par le salarié établissaient par leur concordance et leur cohérence l'existence de faits matériels laissant présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral, à savoir des propos blessants et humiliants proférés de manière répétée à l'encontre du salarié émanant d'un supérieur hiérarchique. 

De son côté, les témoignages produits par l'employeur, ne fournissaient aucun élément sur les relations entre le salarié et son supérieur, ne permettaient pas de renverser la présomption de harcèlement moral. 

Par voie de conséquence, le harcèlement était caractérisé dans l’affaire présente, ayant pour effet de requalifier la démission en une prise d’acte de rupture du contrat de travail produisant les effets d’un licenciement nul. 

Extrait de l’arrêt :

Mais attendu que, appréciant la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui étaient fournis, la cour d'appel, après avoir estimé que les attestations produites par le salarié établissaient par leur concordance et leur cohérence l'existence de faits matériels laissant présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral, à savoir des propos blessants et humiliants proférés de manière répétée à l'encontre du salarié émanant d'un supérieur hiérarchique, a retenu, sans faire preuve de partialité, que les témoignages produits par l'employeur, qui ne fournissaient aucun élément sur les relations entre le salarié et son supérieur, ne permettaient pas de renverser la présomption de harcèlement moral ; que dès lors, elle a pu décider que le harcèlement était caractérisé ; que le moyen n'est pas fondé ;


PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ; 

Cour de cassation du , pourvoi n°13-13951

Plusieurs commentaires vous sont proposés en rappel avec la présente affaire :

  • Quand une démission devient une prise d’acte ;
  • Les cas permettant de requalifier un licenciement en licenciement nul ;
  • Quand une prise d’acte produit les effets d’un licenciement nul.

Quand une démission devient une prise d’acte

Il existe des cas pour lesquels la démission par le salarié est requalifiée par les juges en une prise d’acte fondée sur des griefs fondés.

Exemples concrets: 

  • La démission a été provoquée par le fait que l'employeur ne respectait pas ses obligations en matière, notamment, de temps de travail, de congés payés et que cette situation avait été signalée à l'inspecteur du travail ;

Cour de cassation du 09/05/2007 n° 05-41324 et 05-41325

  • Le salarié avait joint à sa lettre de démission un décompte des sommes dont il prétendait qu'elles lui étaient dues au titre de ses heures supplémentaires et de ses repos compensateurs ;

Cour de cassation du 09/05/2007 n° 05-40315

  • Un salarié avait adressé une lettre de démission accompagnée d'une autre lettre dans laquelle il protestait contre la modification unilatérale de sa rémunération, ce dont il s'était déjà plaint auprès de ses supérieurs.

Cour de cassation du 09/05/2007 n° 05-42301

Extrait « Abécédaire social et paye 2010 » (éditions INDICATOR)

Des démissions qui ont été requalifiées en une prise d’acte de rupture du contrat de travail :

La démission a été provoquée par le fait que l'employeur ne respectait pas ses obligations en matière, notamment, de temps de travail, de congés payés et que cette situation avait été signalée à l'inspecteur du travail

Cour de cassation du 09/05/2007 n° 05-41324 et 05-41325

Le salarié avait joint à sa lettre de démission un décompte des sommes dont il prétendait qu'elles lui étaient dues au titre de ses heures supplémentaires et de ses repos compensateurs

Cour de cassation du 09/05/2007 n° 05-40315

Un salarié avait adressé une lettre de démission accompagnée d'une autre lettre dans laquelle il protestait contre la modification unilatérale de sa rémunération, ce dont il s'était déjà plaint auprès de ses supérieurs

 Cour de cassation du 09/05/2007 n° 05-42301

Des démissions qui n’ont pas été requalifiées en une prise d’acte 

A contrario, certaines démissions n’ont pas été requalifiées en une prise d’acte justifiée. 

  • Conteste sa démission plus de 17 mois après et ne démontre pas le caractère équivoque de sa démission ;

Cour de cassation du 09/05/2007 n° 05-40518

  • N'a contesté les conditions de la rupture de son contrat de travail et réclamé des rappels de salaire à son employeur que près de trois mois plus tard.

Cour de cassation du 20/06/2007 n° 06-42372 FD

  

Extrait « Abécédaire social et paye 2010 » (éditions INDICATOR)

Des démissions qui n’ont pas été requalifiées en une prise d’acte de rupture du contrat de travail : 

Conteste sa démission plus de 17 mois après et ne démontre pas le caractère équivoque de sa démission

Cour de cassation du 09/05/2007 n° 05-40518

N'a contesté les conditions de la rupture de son contrat de travail et réclamé des rappels de salaire à son employeur que près de trois mois plus tard

Cour de cassation du 20/06/2007 n° 06-42372 FD 

Petit commentaire de l’auteur: On remarquera la réaction un peu « tardive » du salarié qui semble avoir eu du mal à réagir.

Les cas permettant de prononcer la nullité d’un licenciement

Il existe de nombreux cas pour lesquels le juge peut prononcer la nullité du licenciement :

  • Licenciement pour victimes de harcèlement, de discrimination ou personnes ayant relaté ou témoigné de tels agissements (articles L 1132-1 à L 1132-4, L 1152-2 et L 1152-3, L 1153-2 à L 1153-4 du Code du travail) ;
  • Violation du principe d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (article L 1144-3 du Code du travail) ;
  • Licenciement prononcé en méconnaissance du droit de grève (articles L 1132-2 et L 1132-4 du Code du travail) ;
  • Licenciement prononcé pendant un arrêt de travail consécutif à un accident du travail ou maladie professionnelle (sauf faute grave sans rapport avec l’arrêt de travail) (articles L 1226-13, L 1226-9 et L 1226-18 du Code du travail) ;
  • Licenciement prononcé en méconnaissance de la protection des représentants du personnel, représentants syndicaux (articles L 1132-1 à L 1132-4 du Code du travail) ;
  • Licenciement prononcé en méconnaissance de la protection des femmes enceintes (articles L 1225-4 et L 1225-5 du Code du travail) ;
  • Licenciement prononcé pour des opinions religieuses, syndicales, situation de famille (articles L 1132-1 à L 1132-4, du Code du travail). 

Rappelons que la prise d’acte de rupture du contrat de travail par un salarié protégé produit les effets d’un licenciement nul. 

Signalons également que la résiliation judiciaire prononcée aux torts de l’employeur, notamment pour des faits de harcèlement moral produit alors les effets d’un licenciement nul.

Extrait de l’arrêt :

Mais attendu qu'après avoir estimé que la salariée était fondée à solliciter la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, en raison notamment du harcèlement moral dont elle avait été victime sur son lieu de travail, la cour d'appel a énoncé à bon droit que cette rupture produisait les effets d'un licenciement nul conformément aux dispositions de l'article L. 1152-3 du code du travail ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Cour de cassation du 20/02/2013 pourvoi 11-26560

La prise d’acte produit les effets d’un licenciement nul (salarié non protégé)

C’est le cas dans cette affaire car :

  1. La démission est requalifiée en prise d’acte par le salarié ;
  2. La prise d’acte produit les effets d’un licenciement nul, car un harcèlement moral est retenu. 

Conséquences: 

  • Indemnité de licenciement 

Lorsque la prise d’acte produit les effets d’un licenciement nul, le salarié doit alors obtenir le paiement de l’indemnité de licenciement. 

  • Indemnité compensatrice de préavis  

Si aucun préavis n’a été effectué, une indemnité compensatrice sera due. 

  • Indemnité compensatrice de congés payés au titre du préavis non effectué  

Conséquence directe, l’entreprise se trouve également redevable d’une indemnité compensatrice de congés payés correspondant à la période de préavis non effectuée, généralement cette indemnité est chiffrée selon la méthode du « 1/10ème ». 

  • Dommages et intérêts au titre du licenciement nul 

Au regard de l’article L 1134-4 du code du travail, le salarié doit percevoir des dommages et intérêts visant à réparer le préjudice subi.

Le montant des sommes à verser est souverainement apprécié par les juges, sans toutefois que sa valeur ne soit inférieure aux salaires des 6 derniers mois.

Article L1134-4

Modifié par LOI n°2008-126 du 13 février 2008 - art. 16

Est nul et de nul effet le licenciement d'un salarié faisant suite à une action en justice engagée par ce salarié ou en sa faveur, sur le fondement des dispositions du chapitre II, lorsqu'il est établi que le licenciement n'a pas de cause réelle et sérieuse et constitue en réalité une mesure prise par l'employeur en raison de cette action en justice. Dans ce cas, la réintégration est de droit et le salarié est regardé comme n'ayant jamais cessé d'occuper son emploi.

Lorsque le salarié refuse de poursuivre l'exécution du contrat de travail, le conseil de prud'hommes lui alloue :

1° Une indemnité ne pouvant être inférieure aux salaires des six derniers mois ;

2° Une indemnité correspondant à l'indemnité de licenciement prévue par l'article L.1234-9 ou par la convention ou l'accord collectif applicable ou le contrat de travail.

L'article L.1235-4, relatif au remboursement à l'institution mentionnée à l'article L.5312-1, pour le compte de l'organisme mentionné à l'article L.5427-1, des indemnités de chômage payées au salarié en cas de licenciement fautif, est également applicable.

  

Cette somme est due, quelle que soit l’ancienneté du salarié et effectif de l’entreprise. 

Extrait de l’arrêt :

Attendu que pour réduire notablement les indemnités qu'un conseil de prud'hommes avait condamné la société Y… à verser à Mme X... en réparation de son préjudice né d'un licenciement nul, la cour d'appel relève la faible ancienneté de la salariée en application de l'article L. 1235-3 du code du travail ;
Attendu cependant que le salarié victime d'un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration a droit, quelle que soit son ancienneté dans l'entreprise, d'une part, aux indemnités de rupture, d'autre part, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire ;
Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors qu'elle avait jugé que le licenciement de la salariée était nul pour avoir été prononcé après qu'elle eut dénoncé le harcèlement moral dont elle était victime, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions relatives au licenciement nul, l'arrêt rendu le 28 mai 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier, autrement composée ; 

Cour de cassation du 14/04/2010, pourvoi 09-40486

  • Indemnisation au titre du DIF 

Selon nous, en cas de prise d’acte par le salarié qui produit les effets d’un licenciement nul, cette indemnisation au titre du DIF est également à envisager, le salarié ayant été privé de sa période de préavis et de son droit à utiliser les heures acquises au titre du DIF.

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