Contexte de l'affaire
Un conseiller de vente licencié pour inaptitude, après avoir dénoncé un harcèlement moral, a saisi le conseil de prud’hommes. Les juges du fond ont annulé son licenciement, retenant qu’il faisait suite à des faits de harcèlement et ont accordé au salarié divers rappels de salaires pour la période postérieure à l’avis d’inaptitude.
Sur le fondement de l’article L. 1226-4 du code du travail, ils ont également octroyé 1 000 euros de dommages-intérêts au titre du préjudice subi du fait du retard de versement des salaires.
L’employeur s’est pourvu en cassation, contestant l’octroi de cette somme.
Extrait Cass. soc du 6 mai 2025 n° 23-17.005 :
« Réponse de la Cour
Vu l'article 1231-6 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
- Aux termes de ce texte, les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte. Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire.
- Pour condamner l'employeur au paiement de dommages-intérêts pour violation de l'article L. 1226-4 du code du travail, l'arrêt retient que l'employeur n'établit pas avoir payé les rappels de salaire du 1er mars au 15 avril 2020, que le retard est donc important, que le salarié n'a pu bénéficier de ressources nécessaires pour assumer ses besoins et qu'il a subi un préjudice du fait du non-paiement du salaire à l'issue du délai d'un mois après la visite médicale de reprise.
- En statuant ainsi, sans caractériser l'existence d'un préjudice distinct de celui résultant du retard apporté dans le paiement des créances, causé par la mauvaise foi de l'employeur, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
- La cassation prononcée n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Tournier expansion [Localité 4] à payer à M. [L] la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de l'article L. 1226-4 du code du travail, l'arrêt rendu le 21 mars 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry »
Commentaire de LégiSocial
Décision de la Cour
Dans sa décision du 6 mai 2025 (n° 23-17.005), la chambre sociale de la Cour de cassation donne raison à l’employeur.
Elle rappelle qu’en matière de retard de paiement d’une somme d’argent, l’intérêt légal suffit à indemniser le créancier, en l’occurrence le salarié, sans qu’il soit nécessaire de démontrer un préjudice (Code civil, art. 1231-6).
Toutefois, des dommages-intérêts supplémentaires peuvent être accordés si deux conditions cumulatives sont remplies :
- le salarié doit avoir subi un préjudice distinct de celui causé par le simple retard de paiement ;
- ce préjudice doit résulter de la mauvaise foi de l’employeur.
Or, selon la Cour, les juges d’appel n’ont pas caractérisé un tel préjudice distinct. Ils se sont contentés de constater que le salarié avait manqué de ressources suite au non-paiement de ses salaires, ce qui ne suffit pas juridiquement. Aucune mauvaise foi particulière de l’employeur n’était démontrée.
L’arrêt d’appel est donc cassé et l’affaire renvoyée devant une autre cour d’appel.
Impact en paie
Cet arrêt confirme plusieurs éléments en matière de contentieux salarial :
- Le simple retard de paiement du salaire n’ouvre droit qu’aux intérêts moratoires, à appliquer au taux légal à compter de la mise en demeure du débiteur (employeur).
- L’employeur n’est pas automatiquement exposé à des dommages-intérêts pour ce seul motif.
- Une condamnation complémentaire suppose la preuve d’un comportement fautif ou déloyal (mauvaise foi), ainsi qu’un préjudice autonome (ex. : frais bancaires, interdiction bancaire, surendettement prouvé).
- En cas d’inaptitude non suivie de reclassement ou de licenciement dans un mois, le salaire doit impérativement être rétabli à l’issue de ce délai.