Des propos tenus sur un réseau social ne constituent pas des injures publiques

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Indemnité de licenciement

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Cet article a été publié il y a 10 ans, il est donc possible qu'il ne soit plus à jour.

La Cour de cassation vient de rendre très récemment un arrêt, à notre sens inédit, qui lui permet de se prononcer sur une sorte de frontière séparant les propos tenus sur un réseau social avec des injures considérées comme publiques et préjudiciables pour celui qui les tient. 

L’affaire concernée 

Un employeur assigne leur ancienne salariée pour avoir publiée (peu de temps avant son licenciement) des propos que nous qualifierons de « peu élogieux » sur des réseaux sociaux, considérant en l’occurrence qu’ils constituaient des injures publiques, au sens des articles 23, 29,alinéa 2, et 33, alinéa 2,  de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse. 

Article 23

Modifié par Loi n°2004-575 du 21 juin 2004 - art. 2 JORF 22 juin 2004 

Seront punis comme complices d'une action qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique, auront directement provoqué l'auteur ou les auteurs à commettre ladite action, si la provocation a été suivie d'effet.

Cette disposition sera également applicable lorsque la provocation n'aura été suivie que d'une tentative de crime prévue par l'article 2 du code pénal. 

Article 29

Créé par Loi 1881-07-29 Bulletin Lois n° 637 p. 125 

Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.

Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure.

Article 33

Modifié par Loi n°2004-1486 du 30 décembre 2004 - art. 21 JORF 31 décembre 2004

Modifié par Loi n°2004-1486 du 30 décembre 2004 - art. 22 JORF 31 décembre 2004 

L'injure commise par les mêmes moyens envers les corps ou les personnes désignés par les articles 30 et 31 de la présente loi sera punie d'une amende de 12 000 euros.

L'injure commise de la même manière envers les particuliers, lorsqu'elle n'aura pas été précédée de provocations, sera punie d'une amende de 12 000 euros.

Sera punie de six mois d'emprisonnement et de 22 500 euros d'amende l'injure commise, dans les conditions prévues à l'alinéa précédent, envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

Sera punie des peines prévues à l'alinéa précédent l'injure commise dans les mêmes conditions envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap.

En cas de condamnation pour l'un des faits prévus par les deux alinéas précédents, le tribunal pourra en outre ordonner :

1° L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-35 du code pénal

Les propos en question sont reproduits en l’état sur l’arrêt de la Cour de cassation : 

Extrait de l’arrêt : 

- " D... devrait voter une loi pour exterminer les directrices chieuses comme la mienne ! ! ! (site MSN)
- " extermination des directrices chieuses " (Facebook)
- " éliminons nos patrons et surtout nos patronnes (mal baisées) qui nous pourrissent la vie ! ! ! " (Facebook)
- " Z... motivée plus que jamais à ne pas me laisser faire. Y'en a marre des connes " ;

L’arrêt de la cour d’appel 

La cour d’appel, tout comme l’avait fait le tribunal de grande instance de Meaux, déboute l’employeur.

Les juges retiennent que les 3 premiers éléments constitutifs du délit d’injures publiques étaient effectivement réunis à savoir :

  • Propos injurieux ;
  • Propos dirigés à l’encontre d’une personne déterminée ;
  • Intention coupable.

Il manquait toutefois un dernier élément : l’élément de publicité.

En effets, seuls les « amis » ou « contacts » sur les réseaux sociaux concernés (Facebook et MSN) pouvaient avoir accès aux propos concernés par la présente affaire.

Il s’en déduisait donc le caractère non public de ces derniers. 

Extrait de l’arrêt : 

que l'élément de publicité des infractions de presse est constitué dès lors que les destinataires des propos incriminés, quel que soit leur nombre, ne forment pas entre eux une communauté d'intérêt ; qu'en l'espèce, Mme X... a publié les propos incriminés sur les sites Facebook et MSN, qui étaient accessibles à ses différents « amis » ou « contacts » ; qu'en déduisant le caractère non public de ces propos au motif inopérant qu'ils auraient été diffusés à des membres choisis en nombre très restreint, ce qui serait exclusif de la notion de public inconnu et imprévisible,

L’arrêt de la Cour de cassation 

Les juges de la Cour de cassation confirment l’arrêt de la cour d’appel.

Les propos incriminés étaient diffusés sur des comptes du réseau social de la salariée, ils n’étaient en l’occurrence accessible qu’aux seules personnes agréées par l’intéressée, en nombre très restreint, qui formaient une sorte de « communauté d'intérêts ». 

Extrait de l’arrêt : 

Mais attendu qu'après avoir constaté que les propos litigieux avaient été diffusés sur les comptes ouverts par Mme X... tant sur le site Facebook que sur le site MSN, lesquels n'étaient en l'espèce accessibles qu'aux seules personnes agréées par l'intéressée, en nombre très restreint, la cour d'appel a retenu, par un motif adopté exempt de caractère hypothétique, que celles-ci formaient une communauté d'intérêts ; qu'elle en a exactement déduit que ces propos ne constituaient pas des injures publiques ; que le moyen n'est pas touché en ses quatres premières branches 

Alors : impunité des salariés ? 

Il serait bien trop hâtif de conclure ainsi l’arrêt présent. 

Injures non publiques

On remarquera notamment que la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel sur un point : celui de ne pas avoir recherché si les injures ne pouvaient pas être reconnues comme des injures non publiques.

Rappelons que dans ce cas, les injures non publiques sont punissables de contraventions de 1ère classe selon le code pénal. 

Article R621-2 

L'injure non publique envers une personne, lorsqu'elle n'a pas été précédée de provocation, est punie de l'amende prévue pour les contraventions de la 1re classe.

Extrait de l’arrêt : 

Mais sur la cinquième branche du moyen :
Vu l'article R. 621-2 du code pénal ;
Attendu que pour rejeter les prétentions de Mme Y..., la cour d'appel s'est bornée à constater que les propos litigieux ne constituaient pas des injures publiques ;
Qu'en statuant ainsi sans rechercher, comme il lui incombait de le faire, si les propos litigieux pouvaient être qualifiés d'injures non publiques, la cour d'appel a violé par refus d'application le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, sauf en sa disposition déclarant irrecevable l'action de la société Agence du Palais, l'arrêt rendu le 9 mars 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sauf sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;

Prudence est mère de sûreté… 

Il nous semble important de rappeler aux salariés d’agir avec prudence dans les propos tenus à l’extérieur de l’entreprise.

Nous rappellerons des récents arrêts de la cour d’appel et un jugement du Conseil de Prud’hommes qui donnent un éclairage important et… contradictoire sur les propos tenus sur des réseaux sociaux, (vous pouvez retrouver notre article en détails en cliquant ici). 

Le premier arrêt de la cour d’appel

Une salariée est en contact avec son ancien directeur de magasin licencié pour faute grave.

La salariée n’hésite pas à écrire sur son « mur » des injures vis-à-vis de son entreprise.

A la suite de quoi, son employeur la licencie.

La salarié saisit le Conseil de Prud’hommes estimant que ces propos sur Facebook relève de la sphère privée,  et ne peuvent en aucun cas motiver la rupture de son contrat de travail. 

La Cour d’appel déboute la salariée de sa demande estimant que le réseau social concerné doit s’analyser comme un espace public. 

Arrêt cour d’appel de Besançon 15 novembre 2011 

Le second arrêt de la cour d’appel 

Deux animateurs radio échangent sur un réseau social des propos concernant leur employeur. 

L’employeur sanctionne l’un d’eux en rompant une promesse d’embauche. 

Le salarié n’est pas d’accord et décide de saisir le Conseil de prud’hommes. 

Dans un premier temps, le salarié est débouté de sa demande mais il décide de faire appel. 

La Cour d’appel de Douai ne suit pas le jugement du Conseil de prud’hommes et donne raison au salarié. 

Les juges considèrent que les propos incriminés ne pouvaient en aucun cas justifier le retrait de la promesse d’embauche. 

Arrêt cour d’appel de Douai 16 décembre 2011

Jugement du Conseil de Prud’hommes 

Un jugement du Conseil de Prud'hommes de Guingamp en novembre 2011, avait indiqué que le licenciement d’un salarié qui avait dénigré son employeur sur un réseau social était justifié. 

Vous pouvez retrouver cette affaire en détails, en cliquant ici.  

Jugement Conseil de Prud'hommes de Guingamp novembre 2011

Références 

Cour de cassation  chambre civile 1  Audience publique du mercredi 10 avril 2013  N° de pourvoi: 11-19530  

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