Contexte de l'affaire
La société Sewan avait recruté un responsable régional des ventes indirectes, promu ensuite directeur régional. Son contrat comportait une convention individuelle de forfait en jours, conclue à partir du 1er septembre 2016. Après une rupture conventionnelle signée en 2019, l’ancien salarié a saisi le conseil de prud’hommes pour obtenir notamment des rappels d’heures supplémentaires et des indemnités de rupture, estimant que son forfait-jours était nul.
La cour d’appel de Paris, par un arrêt du 28 février 2024, lui a donné raison et a annulé la convention de forfait en jours. L’employeur a formé un pourvoi, soutenant que l’accord collectif appliqué prévoyait des dispositifs suffisants pour encadrer la charge de travail (plafond annuel, suivi mensuel, bilan annuel, procédures d’alerte).
Extrait de Cass. soc. du 24 septembre 2025 n° 24-14.577
"Réponse de la Cour
7. Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.
8. Aux termes de l'article L. 3121-60 du code du travail, l'employeur s'assure régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail.
9. Selon l'article L. 3121-64, II, du même code, l'accord autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours détermine :
1° Les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ;
2° Les modalités selon lesquelles l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise.
10. Il résulte de ces textes que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.
11. La cour d'appel a, d'abord, reproduit le contenu de l'article 4 de l'accord sur le temps de travail UES Sewan du 1er septembre 2016 mettant en oeuvre l'accord du 4 juin 1999 relatif à la réduction et aménagement du temps de travail constituant l'annexe III de la convention collective nationale des télécommunications du 26 avril 2000, qui prévoit les modalités de contrôle et de suivi de la charge de travail des cadres autonomes soumis à une convention de forfait en jours.
12. Elle a, ensuite, relevé, d'une part, que le contrôle du temps de travail reposait sur un suivi par le manager dont les modalités n'étaient pas précisées, d'autre part, que si l'article 4 mentionne successivement le manager puis le service des ressources humaines, la phrase suivante relative à un bilan annuel ne donne aucune précision sur le cadre dans lequel celui-ci serait mené et a conclu que cela lui enlevait toute effectivité. Elle a encore constaté qu'aucun dispositif n'était prévu pour permettre au salarié de saisir l'employeur de difficultés éventuelles, ni pour permettre qu'il soit remédié utilement à toute situation mettant la santé du salarié en danger.
13. La cour d'appel en a exactement déduit que ces dispositions ne présentaient pas de garantie suffisante permettant d'assurer un suivi réel et effectif de la charge de travail et de vérifier qu'elle était raisonnable et que la convention de forfait en jours conclue par l'intéressé était nulle.
14. Le moyen n'est donc pas fondé."
Décision de la Cour de cassation
La chambre sociale rejette le pourvoi. Elle rappelle que, conformément aux articles L. 3121-60 et L. 3121-64 du Code du travail, un accord collectif autorisant le recours au forfait en jours doit assurer des garanties effectives pour préserver la santé et la sécurité des salariés.
Pour être valable, l’accord doit prévoir :
- des modalités d’évaluation et de suivi de la charge de travail,
- un dispositif de contrôle du nombre de jours travaillés,
- des entretiens périodiques sur la charge, la répartition du travail, l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle,
- et des mécanismes d’alerte en cas de surcharge.
En l’espèce, bien que l’accord de l’entreprise prévoie un document déclaratif mensuel et un entretien annuel, la Cour constate qu’aucune procédure concrète ne permettait au salarié de signaler une surcharge ou d’obtenir une régulation de sa charge de travail. Le suivi était jugé imprécis et insuffisant. Dès lors, la convention de forfait en jours est déclarée nulle.
Cette nullité entraîne la requalification du temps de travail selon le régime horaire classique. Le salarié peut ainsi prétendre au paiement des heures supplémentaires effectuées au-delà de la durée légale, avec les majorations.
Impact en paie
Cette décision confirme la vigilance autour des conventions de forfait en jours. Ses conséquences pratiques sont multiples :
- Rappel d’heures supplémentaires : l’annulation du forfait-jours entraîne le calcul rétroactif des heures effectuées au-delà de 35 heures hebdomadaires, avec les majorations légales.
- Traçabilité renforcée : les entreprises doivent pouvoir justifier d’un suivi précis de la charge de travail et des jours travaillés pour chaque salarié au forfait-jours.
- Mise à jour des accords collectifs : il est souhaitable de vérifier que les accords en vigueur comportent bien les quatre garanties exigées par la Cour (suivi, entretien, alerte, contrôle). À défaut, la nullité du forfait expose l’employeur à des rappels salariaux.
- Vigilance sur les mentions de paie : la simple indication « salarié au forfait jours » sur le bulletin ne suffit pas. Il faut s’assurer que le cadre juridique est valide et que les dispositifs de suivi sont effectivement mis en œuvre.
