Contexte de l'affaire
Engagée en juin 2018 comme responsable RH, une salariée est mise à pied en mars 2019 puis licenciée pour faute grave en avril. L’employeur lui reproche plusieurs manquements dans l'exécution de son contrat de travail.
La salariée soutient que son licenciement est en réalité lié à la découverte, par l’épouse du président (également directrice générale), de sa liaison avec celui-ci, la veille de sa convocation à entretien préalable.
La cour d’appel écarte les manquements, retient une atteinte à la vie privée mais juge le licenciement seulement sans cause réelle et sérieuse, et non nul.
Réponse de la Cour
Vu les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil, L. 1121-1, L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 et L. 1235-3-1 du code du travail :
5. Il résulte des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail qu'un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.
6. Il résulte des trois premiers de ces textes que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l'intimité de sa vie privée et que l'employeur ne peut, sans violation de cette liberté fondamentale, fonder un licenciement sur un fait relevant de l'intimité de la vie privée du salarié.
7. Selon le dernier de ces textes, est nul le licenciement prononcé en violation d'une liberté fondamentale.
8. Pour écarter la nullité du licenciement, l'arrêt retient, d'une part, que la lettre de licenciement pour faute grave fait état de divers manquements dans l'exécution du contrat de travail et griefs relatifs au comportement de la salariée sans faire aucune mention d'un grief en relation avec sa vie privée ou constituant une atteinte au respect de celle-ci et, d'autre part, que la salariée a elle-même diffusé, dans le cadre de la procédure, les SMS échangés entre elle-même et le président de la société, de sorte que si cette atteinte est établie, elle rend simplement le licenciement sans cause réelle et sérieuse et non pas nul.
9. En statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu qu'aucun des griefs énoncés dans la lettre de licenciement n'était établi et que la véritable cause du licenciement était la découverte, le 28 mars 2019, par l'épouse du président de la société, elle-même directrice générale de celle-ci, de la liaison qu'entretenait son mari avec la salariée depuis plusieurs mois et l'ultimatum qu'elle lui avait posé de la licencier immédiatement, ce dont elle aurait dû déduire que le licenciement était fondé sur un fait relevant de l'intimité de la vie privée de la salariée, de sorte qu'il était atteint de nullité, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Décision de la Cour de cassation
La Haute juridiction rappelle qu’un licenciement fondé sur des faits relevant de la vie privée, sans lien avec les obligations contractuelles, porte atteinte à une liberté fondamentale et est nul (art. L.1235-3-1 du Code du travail, art. 9 du Code civil, art. 8 CEDH).
Constatant que les griefs invoqués dans la lettre n’étaient pas établis et que la véritable cause était la liaison découverte et l’ultimatum imposé par l’épouse du président, la Cour prononce la nullité du licenciement et condamne l’employeur à verser 20 000 € de dommages-intérêts.
Impact en paie et RH
Cet arrêt rappelle l’importance, pour l’employeur, de fonder toute rupture sur des motifs professionnels objectivement établis. En effet, la nullité du licenciement entraîne le versement de dommages-intérêts non plafonnés dans la mesure où les barèmes prud'hommaux prévus à l'article L1235-3-1 du code du travail ne sont pas applicables en cas de nullité du licenciement.
Par ailleurs, s'il le souhaite, le salarié peut demander sa réintégration dans l'entreprise avec le versement d'une indemnité dite "d'éviction" correspondant aux salaires qu'il aurait perçus s'il n'avait pas été licencié
L’affaire souligne que la vie privée du salarié est protégée même sur le lieu de travail et que toute décision disciplinaire liée à des faits personnels expose à un risque juridique et financier important.