Contexte de l'affaire
Une salariée est embauchée en CDI le 16 décembre 2013 en qualité de gestionnaire sinistre. Le 13 janvier 2014, elle est arrêtée pour maladie et le restera jusqu’au 17 août 2014. Le 22 juillet 2014, alors qu’elle est encore en arrêt, l’employeur notifie la rupture de sa période d’essai, avec une prise d’effet au 18 août.
Estimant que cette rupture est fondée sur son état de santé, la salariée saisit la juridiction prud’homale. Elle invoque une discrimination et demande la nullité de la rupture.
Elle reproche aussi à son employeur de ne pas avoir déclaré son arrêt à l’organisme de prévoyance, ce qui l’a privée de prestations complémentaires.
La cour d’appel retient la nullité de la rupture, au motif que la salariée avait apporté des éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination liée à son état de santé et que l’employeur n’avait pas démontré que sa décision reposait sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Les juges allouent à la salariée 5 000 euros de dommages-intérêts, mais refusent de lui accorder l’indemnité prévue en cas de licenciement nul. Ils lui attribuent également une somme de 3 000 euros au titre du bénéfice des garanties de prévoyance.
La salariée se pourvoit en cassation, soutenant qu’une rupture discriminatoire de période d’essai devrait être sanctionnée comme un licenciement nul.
Extrait Cass. soc. du 25 juin 2025, n° 23-17.999
"Réponse de la Cour
6. Selon les articles L. 1132-1 et L. 1132-4 du code du travail, toute rupture du contrat de travail prononcée à l'égard d'un salarié en raison de son état de santé est nulle.
7. Selon l'article L. 1231-1 du même code, les dispositions du titre III du livre II du code du travail relatif à la rupture du contrat de travail à durée indéterminée ne sont pas applicables pendant la période d'essai.
8. Il résulte de ces textes que le salarié dont la rupture de la période d'essai est nulle pour motif discriminatoire ne peut prétendre à l'indemnité prévue en cas de licenciement nul mais à la réparation du préjudice résultant de la nullité de cette rupture.
9. L'article 1er de la directive n° 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 énonce que celle-ci a pour objet d'établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, l'handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle, en ce qui concerne l'emploi et le travail, en vue de mettre en oeuvre, dans les États membres, le principe de l'égalité de traitement et n'est donc pas applicable en cas de discrimination en raison de l'état de santé.
10. La cour d'appel, qui a retenu que la salariée présentait des éléments laissant supposer l'existence d'une discrimination, puis que l'employeur ne démontrait pas que sa décision de rompre la période d'essai était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, a exactement retenu que la salariée pouvait prétendre à des dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de cette rupture dont elle a souverainement fixé le montant."
Décision de la Cour
Dans son arrêt du 25 juin 2025 (Cass. soc. du 25 juin 2025, n° 23-17.999), la Cour de cassation rappelle deux principes essentiels. D’une part, la rupture d’un contrat de travail motivée par un motif discriminatoire, tel que l’état de santé, est nulle (C. trav., art. L. 1132-1 et L. 1132-4). D’autre part, les règles du licenciement ne s’appliquent pas à une période d’essai (C. trav., art. L. 1231-1).
La Haute juridiction confirme donc que le salarié dont la rupture d’essai est annulée pour discrimination ne peut prétendre à l’indemnité pour licenciement nul, notamment celle prévue à l’article L. 1235-3-1 du Code du travail. Il peut uniquement obtenir des dommages-intérêts, dont le montant est fixé en fonction du préjudice effectivement subi.
La Cour écarte également l’argument fondé sur la directive 2000/78/CE, jugeant qu’elle ne s’applique pas à la discrimination en raison de l’état de santé.
Enfin, elle casse partiellement l’arrêt d’appel s’agissant des 3 000 euros octroyés pour perte de chance liée à la prévoyance. Elle reproche aux juges du fond d’avoir requalifié d’office le préjudice subi sans avoir préalablement invité les parties à s’expliquer sur cette qualification, en méconnaissance de l’article 16 du Code de procédure civile.
Impact en paie
La nullité de la rupture de période d’essai pour discrimination ne permet pas de verser les indemnités classiques de licenciement (indemnité légale ou conventionnelle, indemnité compensatrice de préavis). La réparation prend la forme de dommages-intérêts, évalués souverainement par les juges en fonction du préjudice. Ces sommes doivent figurer sur le bulletin de paie dans une rubrique distincte, par exemple « dommages-intérêts décision de justice », sans être assimilées à des indemnités de rupture.
La question de la prévoyance suppose une attention particulière : l’employeur est tenu de déclarer tout arrêt de travail à l’organisme assureur, dans les délais impartis par le contrat collectif. À défaut, il peut être tenu d’indemniser le salarié pour les prestations perdues. Toutefois, toute qualification du préjudice (perte de chance, perte de droits) doit faire l’objet d’un débat contradictoire. Il est recommandé de tracer toute transmission de déclaration d’arrêt maladie (preuve d’envoi, échanges).
Enfin, cet arrêt rappelle que la rupture d’essai, bien que libre, connaît des limites. Toute motivation fondée sur un critère prohibé par la loi (état de santé, grossesse, origine, etc.) est nulle et engage la responsabilité de l’employeur.