Accès à la messagerie personnelle d’un salarié : la Cour de cassation se prononce

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Rupture contrat de travail

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Cet article a été publié il y a 8 ans, il est donc possible qu'il ne soit plus à jour.

Un récent arrêt de la Cour de cassation a retenu toute notre attention, raison pour laquelle nous y consacrons la présente actualité.

L’affaire porte sur l’accès de l’employeur à la messagerie personnelle du salarié… 

Présentation de l’affaire

Une salariée est engagée, le 21 février 2006, en qualité d'assistante administrative et commerciale pour occuper en dernier lieu un poste de responsable d'agence.

Par lettre du 17 novembre 2011, elle prend acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur et saisit la juridiction prud'homale, souhaitant que cette prise d’acte produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. 

Afin de montrer qu’il n’avait commis aucun manquement qui pourrait donner des griefs fondés à la présente prise d’acte, l’employeur produit plusieurs pièces, dont un échange de courriels reçus par la salariée sur sa messagerie personnelle, mais dont une trace figurait sur l’ordinateur professionnel dont elle avait la jouissance (NDLR : l’arrêt ne donne pas de précisions sur la manière dont l’employeur s’est procuré ces mails).

L’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux

La Cour d'appel de Bordeaux, dans son arrêt du 18 février 2014, indique que ces mails doivent être écartés des débats en ce que leur production en justice porterait atteinte au secret des correspondances privées (NDLR : article 9 du code civil).

Article 9

Créé par Loi 1803-03-08 promulguée le 18 mars 1803

Modifié par Loi 1927-08-10 art. 13

Modifié par Loi n°70-643 du 17 juillet 1970 - art. 22 JORF 19 juillet 1970

Modifié par Loi n°94-653 du 29 juillet 1994 - art. 1 JORF 30 juillet 1994

Chacun a droit au respect de sa vie privée.

Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé.

Mais l’employeur décide de se pourvoir en cassation, rappelant que ces courriels :

  • Figuraient sur le disque dur de l’ordinateur professionnel mis à la disposition de la salariée ;
  • Et de ce fait, la jurisprudence de 2012 trouvait à s’appliquer. 

En effet, dans un arrêt du 10 mai 2012, la Cour de cassation avait considéré que des fichiers créés par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur étaient présumés avoir un caractère professionnel, sauf si le salarié les identifie comme étant « personnels », permettant notamment à l’employeur d’en prendre connaissance hors de la présence du salarié

Extrait de l’arrêt :

Attendu, cependant, que les fichiers créés par le salarié à l'aide de l'outil informatique mis à sa disposition par l'employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, en sorte que l'employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l'intéressé, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels ;
Qu'en statuant comme elle a fait, alors que la seule dénomination "Mes documents" donnée à un fichier ne lui confère pas un caractère personnel, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qui concerne ses dispositions relatives aux rappels d'heures supplémentaires et congés payés afférents, l'arrêt rendu le 11 janvier 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Cour de cassation 
chambre sociale 
Audience publique du jeudi 10 mai 2012 
N° de pourvoi: 11-13884 

A l’appui de son pourvoi, l’employeur se référait également à un autre arrêt de la Cour de cassation, celui du 19 juin 2013. 

Dans cette affaire, des mails personnels enregistrés sur un disque dur professionnel avaient permis de justifier un licenciement.

Plus précisément, dans cette affaire le salarié avait enregistré des fichiers joints à des mails personnels sur son ordinateur professionnel.

La cour d’appel avait tout d’abord donné raison au salarié, mais la Cour de cassation avait cassé et annulé cet arrêt. 

Nous avons rédigé une actualité à ce sujet, que vous pouvez retrouver en cliquant ici.

Cour de cassation du 19 juin 2013, pourvoi n°12-12138

L’arrêt de la Cour de cassation  

Mais la Cour de cassation n’est pas sensible aux arguments avancés par l’employeur.

Elle confirme l’arrêt de la cour d’appel et rejette le pourvoi. 

Elle indique que les messages électroniques litigieux provenaient de la messagerie personnelle de la salariée distincte de la messagerie professionnelle dont celle-ci disposait pour les besoins de son activité, c’est donc à juste titre que la cour d'appel avait conclu que ces mails devaient être écartés des débats en ce que leur production en justice portait atteinte au secret des correspondances.

Extrait de l’arrêt :

Mais attendu qu'ayant constaté que les messages électroniques litigieux provenaient de la messagerie personnelle de la salariée distincte de la messagerie professionnelle dont celle-ci disposait pour les besoins de son activité, la cour d'appel en a exactement déduit que ces messages électroniques devaient être écartés des débats en ce que leur production en justice portait atteinte au secret des correspondances ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le second moyen du pourvoi principal de l'employeur et les premier et second moyens du pourvoi incident de la salariée annexés qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ; 

Les conséquences 

Confirmation de la protection de la messagerie personnelle 

Selon nous, il convient de considérer que le présent arrêt de la Cour de cassation a pour objectif de conduire à une certaine protection de la messagerie personnelle, fusse-telle consultée pendant et sur le lieu de travail à l’aide d’un ordinateur professionnel. 

Confirmation de la jurisprudence de 2001 

Le présent arrêt de la Cour de cassation du 26 janvier 2016, n’est pas sans rappeler un arrêt de 2001, au sein duquel la Cour de cassation avait indiqué que « le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l'intimité de sa vie privée ; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; que l'employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur ».

Extrait de l’arrêt :

Attendu que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l'intimité de sa vie privée ; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; que l'employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur ;

Attendu que pour décider que le licenciement de M. X... était justifié par une faute grave, la cour d'appel a notamment retenu que le salarié avait entretenu pendant ses heures de travail une activité parallèle ; qu'elle s'est fondée pour établir ce comportement sur le contenu de messages émis et reçus par le salarié, que l'employeur avait découverts en consultant l'ordinateur mis à la disposition de M. X... par la société et comportant un fichier intitulé " personnel " ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 mars 1999, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

Cour de cassation chambre sociale Audience publique du mardi 2 octobre 2001 
N° de pourvoi: 99-42942 Publié au bulletin 

Référence

Cour de cassation chambre sociale Audience publique du mardi 26 janvier 2016 
N° de pourvoi: 14-15360 Publié au bulletin

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